3/3/15

L’effet « tsunami » du contrôle Chantal Bonneau


Question d’École
Problèmes cruciaux du contrôle et de la passe
24 janvier 2015

Après plusieurs années de contrôle avec deux analystes différents, cette proposition d’intervention me conduit à m’interroger sur mon expérience de « contrôlée » et me fait en dégager quelques moments particuliers. Si l’analyse avait répondu à une urgence subjective devenue impossible à supporter, le contrôle s’était imposé plus tard quand je fus confrontée, au début de ma pratique de psychologue, à la solitude dans l’acte et aux conséquences de la parole dans la rencontre avec des patients.
L’analyse et le contrôle
L’analyse était le lieu d’une parole qui me permettait de traiter mes embrouilles avec le corps, l’amour, le sexe et la mort, avec son lot de répétitions, de surprises et de découvertes. Si la quête de vérité – dont la structure de fiction ne m’était pas encore apparue – et l’exigence de bien-dire y étaient à l’œuvre, la rencontre avec le contrôle fit effraction. Quelle porte avais-je poussée qui me laissait ainsi désemparée face à ces cas que je présentais régulièrement ? Comment comprendre que, malgré les nombreuses notes écrites, le texte finissait pourtant par s’effacer dès que j’entrais dans le cabinet du contrôleur ? Cette inquiétude première que j’attribuais à mon non-savoir, mes maladresses de débutante dans la pratique, n’était que la face visible d’une angoisse que je connaissais bien, celle que déclenchait toute prise de parole hors d’un cadre familier. Le dispositif du contrôle m’extrayait de mon théâtre intime et me poussait à parler à partir d’une place mal assurée qui reposait pourtant sur un trépied solide : l’analyste, le contrôleur et l’analysante. La responsabilité quant à l’acte avait été aux principes de ma demande de contrôle ; elle était aussi aux commandes de l’inhibition qui me faisait vaciller devant chaque séance.
Qu’est-ce qui se jouait alors ?
Présenter un cas au contrôleur impliquait une double temporalité : celle, antérieure au contrôle, qui allait de l’écoute du sujet rencontré et de l’écriture des notes, et celle qui se précipitait dans le temps du contrôle donnant à la parole un poids considérable. Au début, cela participa de mon inhibition. Cette rencontre avec la castration, le trou dans le savoir, qui n’échappait pas au travail analytique, se dénudait dans le contrôle et touchait au réel de la psychanalyse.
Rien ne me paraissait m’exposer davantage que cette parole prise durant le contrôle. Je n’en trouvais pas d’équivalent. Là où l’analyse me permettait d’avancer pas à pas avec l’inconscient transférentiel et d’extraire, dans une temporalité rythmée par les séances, les coordonnées de ma jouissance, le contrôle faisait figure de tsunami. L’instant de voir et le temps pour comprendre se condensaient dans la présentation du cas, l’exposé de mes impasses, de mes questions et d’un point de perplexité en attente d’une remarque, d’une interprétation ou d’un éclaircissement. C’était une épreuve dont je me réjouissais pourtant à chaque fois…en sortant !
Cette difficulté subjective relevait de mon rapport à l’écrit et à la parole. Dans l’expérience analytique j’avais mis en lumière certaines coordonnées de mon rapport à l’Autre, qui faisaient de l’écriture un bricolage symptomatique pour éviter une prise de parole qui m’était difficile. L’attachement à l’écrit que je produisais pour la séance de contrôle restait marqué par cette empreinte. Avec le contrôle, et au-delà de l’analyse, la place que j’accordais à l’écrit était touchée : il fallait lâcher, baisser la garde, dire et dévoiler. La défense était dérangée ; mais n’étais-je pas venue en contrôle pour qu’au delà de l’élaboration du cas et des effets attendus sur  ma pratique, se dégage le désir de l’analyste, encore imprécis, mais qui faisait mon horizon logique ?
Une surprise dans le contrôle
Ma nomination comme membre de l’Ecole modifia mon engagement dans le contrôle. Un nouveau nouage entre le savoir et mon transfert à l’Ecole s’était écrit. Il se faisait dans l’enthousiasme pour le nouveau, l’inédit et il se dégageait des effets imaginaires qui m’avaient encombrée jusqu’alors. Le désir de l’analyste était cette fois en question. L’inhibition s’estompait, le rapport à l’angoisse aussi.
Le style même du contrôle se transforma. Je me surpris lors d’une séance à ne pas présenter le cas que j’avais prévu et écrit, pour parler de ce qui me mettait dans l’embarras. Cela s’était imposé sur un mode fulgurant. A l’instant même de la prise de parole, je pus dire mes impasses, et ce qui m’avait mise cependant au travail mais dont je n’avais pas parlé en contrôle, évitant ainsi d’en passer par la parole et maintenant une impuissance à dire. Face à ce réel, la décision imprévue qui avait surgi eut un effet de soulagement éprouvé dans le corps. L’hésitation s’était dissipée dans un éclair et ce n’est que dans l’après-coup que j’en mesurai les conséquences. J’avais consenti à m’approcher du trou du réel et la parole s’était dégagée du soutien de l’écrit. Par ce franchissement, une barrière avait chuté qui séparait mon rapport à l’écrit de la parole. Là où le goût pour la recherche d’un ordonnancement des mots avait été aux commandes c’est le contrôle, comme improvisation, qui s’était imposé. La parole retenue se trouvait libérée et l’écrit ne disait plus le tout du sujet. J’inscrivais ce moment  au registre du désir de l’analyste.
J’avais pris goût à la parole dans le contrôle : non seulement j’entendais mieux les ponctuations du contrôleur, ses petites phrases, ses quelques mots prononcés parfois à la fin d’une séance, mais ils faisaient trace et cristallisaient le transfert de travail. Ce n’était pas un guide de bonne conduite mais une façon de me déloger de ma position prise avec l’analysant dont je parlais. La lecture de mon écrit, « écrit de parole »[1], laissait place à l’écrit dans la parole qui avait à voir avec la dimension de la lettre dans l’inconscient de l’analysant. J’entendais mieux ce qui restait insu dans la conduite de l’analyse. Cette ignorance me permettait d’occuper autrement ma place d’analyste et de pouvoir lire la singularité de chacun.
Ce pas de côté écartait l’analyste en fonction de l’automaton et ouvrait alors à l’invention, jamais garantie ni assurée, en misant sur la contingence comme rupture avec le connu. Il restait l’impossible à dire qui tenait au réel.
Effets de formation
 Le contrôle apporta deux effets de formation qui sont devenus ma boussole. Le premier m’a permis de m’écarter de la fascination pour « l’écrit de parole » et de consentir à occuper la place de semblant d’objet a pour l’analysant. Je me dégageais de l’énonciation du sujet et du déploiement de la chaîne signifiante, là où la quête de sens exerçait parfois une fascination. C’était la jouissance ignorée de l’analysant qui était dès lors visée. Le second modifia radicalement ma place et mes interventions. Á la suite d’une remarque de mon contrôleur, à propos d’un cas difficile, je l’entendis me dire : « Vous parlez trop ! » La nécessité de se taire m’apparut alors dans toute son évidence. Je me croyais silencieuse, j’étais bavarde ! Ce fut là une ponctuation qui m’ébranla et qui  révéla, à chaque fois, son absolue efficacité.
Dans la solitude de la rencontre, là où le sujet est exilé de la langue, c’est de la trace de cette rencontre que le sujet peut faire usage pour accepter un savoir inédit. Le contrôle peut le permettre, pas sans l’analyse ni l’orientation vers le réel. Il faut encore y consentir ; cela demande du temps, des achoppements, des trébuchements, et l’ouvrage est toujours à remettre sur le métier. La joie que je trouve dans ce travail, toujours à recommencer, fait signe  qu’il est la voie d’accès à l’élucidation de ma pratique. C’est un possible auquel je tiens. Je poursuis.





[1] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. L’Être et l’Un », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, leçon du 23 mars 2011, inédit.

Incomplétude et permanence du contrôle -Jean-Daniel Matet


Eduardo Medici


Le témoignage public est, dans l’École, réservé aux AE en exercice en tant qu’il est paradigmatique et qu’il se légitime d’une performance reconnue par un jury à travers un passeur. Ceci évite que tout un chacun n’y aille de son témoignage de ce qui a fait pour chaque analyste son incontournable expérience analytique. C’est aussi que la passe est le contrôle qui s’impose à la définition lacanienne du psychanalyste.[1]
Qu’attendent les instances de l’École si ce n’est l’intranquillité qu’elles sèment ainsi chez ceux que l’Ecole reconnaît comme relevant de sa formation. Quand Jacques-Alain Miller avait invité les analystes à parler de leurs analyses, il avait levé cette restriction concernant le témoignage dans un geste politique : « Il est temps que l’on prenne à partie les psychanalystes, qu’on les secoue, qu’on les somme de s’expliquer, de se montrer, de se battre un peu pour leur pain, alors qu’ils sont tous à vivre d’une rente de situation que leur vaut de se recommander d’un Freud ou d’un Lacan. »
Non identifié au « praticien chevronné », j’ai accepté que l’École m’interpelle pour dire ce qui a justifié la poursuite d’une pratique du contrôle. J’ai toujours été sensible au fait que Lacan, qui ne contestait jamais le titre d’analyste à ceux qui s’en revendiquaient dans quelque institution analytique que ce soit, ne considérait pas pour autant qu’il assure d’authentiques  effets analytiques.
Le contrôle peut prendre toutes les formes, du contrôle de cas à l’interrogation diagnostique aux conditions d’engagement du transfert. Il porte aussi sur la manière dont le transfert reste le vecteur vivant de l’analyse, aussi bien en s’y opposant quand il fait obstacle à la cure elle-même. Reconnaitre pour la contrer ou la tempérer la pente érotomaniaque d’un transfert reste une condition pour diriger l’expérience analytique de sujets psychotiques sans les conduire à une catastrophe.
Un premier contrôle auprès de mon analyste avait accompagné le chemin de mon entrée dans la pratique. L’analyse nourrissait mon activité de médecin puis de psychiatre, elle était depuis longtemps mon horizon. Les difficultés de l’analyse – la force du symptôme et sa résistance à l’interprétation – avaient reporté le moment d’une pratique analytique comme telle que je considérais toujours prématurée. Rhinocéros sans doute, pour citer Lacan, angoissé assurément, ce qui d’après lui n’était pas la plus mauvaise entrée dans la pratique. Sans aucun doute un désir de bien faire, de mener l’analyse là où elle vous porte à changer de place, sans forçage. Le premier temps de contrôle fut celui d’une pratique de psychanalyse appliquée à la clinique et à la thérapeutique. Temps aussi de faire le départ entre la demande qu’on attribue à un autre qui ne demande que de bons soins et celle qui suppose un savoir et permet un transfert.
Répondant à l’appel de Lacan en 1980, décidé à suivre l’orientation que donnait Jacques-Alain Miller à l’aventure du Champ freudien, de sa Section clinique et  de l’École, parce qu’elle était la seule susceptible d’assurer l’avenir de la psychanalyse, vint le temps de la fin de l’analyse, temps qui n’a rien d’instantané, qui peut même durer avant qu’une certitude s’impose et qu’elle se chiffre.
Cette dimension politique est solidaire de l’expérience et je trouvais la nécessité d’un second contrôle qui accompagna mon engagement dans la pratique de la psychanalyse. La visée politique ne fut jamais absente du contrôle, au sens où je n’ai jamais conçu la pratique de l’analyse comme déconnectée des institutions qui forment les psychanalystes et la garantissent. Des questions sur les choix que cela supposait ont pu trouver leur place dans ce contrôle sans que, d’aucune manière, j’eus l’idée de parler d’autre chose que de ce qui soutient la place de l’analyste. Ceci exige une rigueur de l’analyste contrôleur qui ne vous laisse pas dériver vers l’association libre,  épuisée dans la cure elle-même.
L’exposition publique de sa pratique a aussi valeur de contrôle, mais s’adresser à un public reste différent de la sollicitation d’un psychanalyste qui engage son écoute, sa « super audition » pour reprendre le terme proposé par Lacan pour remplacer celui de supervision adopté par l’IPA. Est-ce à dire que l’on attend du contrôleur qu’il entende ce que l’analyste n’a pas entendu ? Encore faut-il que le récit du contrôlant s’y prête. De celui qui rapporte les séances au détail près de ce qu’il a noté, à celui qui généralise le cas au point que rien ne s’aperçoit de sa mise, l’écart est grand. Et le contrôleur, s’il veut rester à la hauteur de l’acte analytique, tout en n’étant pas l’analyste du contrôlé, devra faire préciser tel détail, questionner le parti pris d’un silence ou d’une position.
Le diagnostic symptomatique ne devient secondaire qu’à la condition d’avoir été fermement exploré dans les entretiens préliminaires. L’épinglage en terme de structure, ne  s’impose que pour adapter la réponse à la demande et proportionner son action. Y a-t-il des points d’énigme pour tel sujet et sa réponse est-elle perplexité ou supposition de savoir quant au savoir de l’Autre ? La question diagnostique n’était plus pour moi au cœur de cette expérience de contrôle, mais elle accompagnait la recherche d’une authenticité et d’une légitimité de la cause analytique ainsi que la construction de sa raison.
Autrement dit, comment poursuivre, au plus serré, la quête de ce réel en jeu pour chacun et qui justifie que l’interprétation analytique, par le dispositif même du transfert, le mette en perspective si on l’engage de la bonne manière. Le traitement de la plainte pour qu’elle devienne une demande d’interprétation par le sujet-supposé-savoir, la mobilisation des signifiants identificatoires, leur déplacement pour obtenir des effets thérapeutiques essentiels dans l’enjeu d’une cure analytique dégagent le terrain qui permet le traitement de la jouissance qui accompagne le sujet dans son maniement des objets.
Il ne s’agit plus d’un savoir supposé à l’analyste ou au contrôleur mais de la répartie attendue d’un échange avec celui (le contrôleur, donc ?) que l’on aura surpris, intéressé ou ennuyé. Il m’est arrivé de recevoir du contrôleur une indication qui me faisait saisir la logique de mon discours et me permettait de ne pas en tenir compte dans la cure contrôlée. Ceci pour souligner que l’éclairage donné par le contrôle ne vise qu’à donner les instruments pour soutenir l’acte analytique. Il ne s’agit pas d’appliquer une consigne qui serait donnée par un autre, caricature faite du contrôle quand on cherche à démontrer que les analystes s’auto-reproduisent par identification.
La séance de contrôle se prépare-t-elle ? L’association libre ne suffit pas, sauf à poursuivre la cure psychanalytique sous d’autres formes. Il ne s’agit pas non plus, dans la séance de contrôle, d’une pure interrogation, qui ferait de l’analyste un sachant répondre à toutes questions de technique. Cela n’empêche pas de venir avec une question, c’est même le ressort d’un contrôle qui se poursuit. Soutenir le travail analysant, c’est aussi supporter la fonction, la place qu’un sujet dans le transfert vous a attribuée, fut-elle pour l’accompagner au long de son existence. Ceci n’est pas toujours de tout repos et le contrôleur peut pointer à l’occasion que l’analyste n’est pas aussi destitué qu’il l’avance (Une question te sera certainement posée à propos de cette « destitution » – non advenue ou inachevée ?).
La poursuite du contrôle est la réponse adéquate à la praxis analytique contemporaine. Le repérage diagnostique n’a plus la même tonalité que celui qui consistait à débusquer la psychose quand elle se cache sous les apparences de la névrose : une inhibition insistante, des phobies qui n’en sont pas, une angoisse de morcellement qui ne relève d’une anatomie inconsciente, une dépersonnalisation plus proche de la rupture du lien social que d’un sentiment d’étrangeté du rapport au monde.
La clinique contemporaine, tant celle des dits nouveaux symptômes à toujours actualiser que celle des solutions auxquelles les sujets ont recours, nous contraint à proportionner l’acte à la demande qui est faite. Il ne s’agit pas seulement du tri des demandes qui ne relèveraient pas de la pratique de la psychanalyse – encore faut-il savoir le faire quand il apparaît qu’une offre de parole est dommageable pour le sujet –, mais de recevoir la demande qui nous est faite en prenant en compte la faille symbolique structurelle au cœur de tout discours humain. C’est cette faille qui fera la limite, mais aussi constituera la clé d’une solution à venir. C’est le réel de cette faille que l’analysant explore et, de cette exploration, il fait son analyse, découvre la manière dont les identifications, puis les symptômes, sont autant de façons pour le sujet de ne pas s’y résorber (pas clair, me semble-t-il).
Ce travail de dentellière que fait l’analysant ou l’analysante nécessite un accompagnement de l’analyste qui puisse remarquer les points qui sautent, les trous trop lâches ou absents que ses interventions vont assurer (???), par son interprétation, son acte. L’activité de contrôle a pour moi cette fonction. Qu’il s’agisse d’une séance ponctuelle d’un cas ponctuel ou du suivi d’une orientation à travers plusieurs séances d’analyse, voire de séquences plus longues, je cherche non pas l’assentiment de l’analyste (du contrôleur ?) sur le mode : « c’est bien vous qui l’avez dit », mais une réponse à la hauteur du réel en jeu.
« La vérité est que Lacan , qui disait, contrairement à Freud, que les analyses finissent, nous a en même temps lancé sur le chemin d’une formation dont c’est trop peu dire qu’elle est permanente : elle est infinie. »[2]




[1] Miller, Jacques-Alain, Préface de Qui sont vos psychanalystes p. 10.
[2] Miller, Jacques-Alain, Préface de Qui sont vos psychanalystes p. 11